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Les Ateliers de phénoménologie appliquée ® : Retour à la chose même

Les sophrologues engagés dans une démarche d’étude de la conscience s’intéressent particulièrement à la captation du phénomène pour trouver le saisissant du passage qui ouvre sur l’ouvert. Dans ce cadre, a été organisé en Mars 2013 à Chambéry un atelier de phénoménologie appliquée lors duquel les professionnels présents ont pu retravailler les procédés sophrologiques - en dehors de ceux habituellement répétés, copiés, collés - dans le but d’éclairer la phénoménologie dans la méthode avec rigueur. Il s’agissait de trouver les façons de lire le phénomène tout en étant capable de se situer de façon explicite dans le cadre phénoménologique. Chacun des participants a pu revoir sa façon de faire avec les techniques qu’il utilise habituellement. Vous trouverez ci-joint, un extrait du contenu de cette journée d’études.

 

 

Le retour à la chose-même

Introduction

Jean Beauffret, spécialiste du philosophe Martin Heidegger, disait "L’existentialisme vient d'une volonté de ne pas se suffire en philosophie de constructions purement conceptuelles, car être philosophe à la manière classique c'est penser en s'étant d'abord séparé d'un monde dont on s'est pour ainsi dire donné de façon tout à fait arbitraire l'autorisation de s'absenter. L'existentialiste ou l'existentialisme désignera une philosophie qui ne peut pas se donner l'essence de s'absenter du monde et qui par conséquent ne pourra jamais poser des questions autrement que par référence comme on dit parfois à l'homme en situation" 1. Ainsi, nous allons nous atteler à expliciter les pratiques qui mettent en exergue les phénomènes axiologiques (pour ce faire, la théorie sera revue à la lumière de l'expérience.

 

Rappel de la méthode développée à Axiologos

La méthode sophrologique, initialement inspirée de la phénoménologie, a contribué à l’étude du phénomène de conscience. L'objet de nos travaux maintient le socle posé par le Pr. Alfonso Caycedo et porte plus en avant dans la pédagogie, l’attitude phénoménologique .

En effet, l’outil phénoménologique, quand on sait l’orienter vers la mise en évidence de l’acte d’apparaître, a une fonction de catalyseur dans les  pratiques d’accompagnement en sciences humaines.  

Nous allons voir pourquoi savoir se donner des temps d’exercices corporels, ce n’est pas pour aller vers une relaxation, ni éveiller un savoir idéal qui contrôlerait et maîtriserait tous nos actes, nos comportements dans notre existence ; ni un prétexte pour se croire plus humain.

Considérant annexe l’action des sensations et des perceptions, notre accompagnement  s’attache au processus de détermination et d’humanisation à travers une pratique phénoménologique.

Pour le rendre accessible nous avons rassemblé ce qui se rapporte à notre exercice professionnel afin d’abandonner la répétition de phrases toutes faites ainsi que l’usage de  protocoles utilisables telles des recettes de cuisine. Aménager cette dimension professionnelle ouvre un passage vers la  maturité et la cohésion dans la rigueur de l’approche de la phénoménologie appliquée ®.

 

 

Le retour à la chose-même

L’expression de l’existentialisme donnée par Jean Beauffret, telle que nous l’avons faite entrer dans notre introduction, nous permet d’observer qu’à partir de la dimension de la situation, la mise en rapport avec son monde crée déjà un lien avec la spatialité et la temporalité. Et tenter de se situer, pour un humain, c’est justement ce qui le rend humain.

Dans un entraînement de sophrologie, le sophrologue propose de s’intéresser à ce qui émerge dans la façon de se sentir humain non pas à l’expérience en train de se dérouler. En effet son  regard de phénoménologue maintient l’éclairage sur ce qui fonde l’expérience.

Préciser cela souligne que l’outil ne sert pas un modèle comportemental mais s'emploie à mettre en lumière des critères qui sont la plupart du temps implicites,  pourtant riches d’enseignement pour se situer autrement.

En phénoménologie, nous entendons parler du "retour à la chose-même", ou de l’acte d’aller "droit aux choses elles-mêmes", selon les traductions des écrits d'Edmund Husserl, le père de la phénoménologie. Mais en quoi cela inspire notre pratique ? Dans quel cadre ? A quel moment ? Dans quel but en tenir compte ?

Dans la communication "Des mots à la chose même"2 prononcée lors du 2ème Symposium National des Sophrologues, j’avais tenté d’aborder la fonction de l’intentionnalité, cette spécificité de la conscience. Précisons que la notion d’actes de conscience, souvent utilisée, ne doit pas être appréhendée au sens d'"activité". La conscience n’est pas une action. Les actes ne sont pas des activités psychiques mais des vécus intentionnels qui renvoient à un processus sous jacent. Il n’y a donc pas à viser le positif ou le négatif d’un vécu raconté, selon ce qui est bon ou ce qui est mauvais, encore moins le bien-être ou le mal-être mais viser dans le paradoxal, le processus dynamique potentiel. Le Docteur Michel Guerry disait que "l’intentionnalité ne doit pas être confondue avec l’intention". L’acte de voir implique l’acte de tourner la tête, l’acte de mouvoir les yeux, l’acte de les orienter avec une convergence de façon à ce qu'une forme se détache , s'actualise sur fond d'inactualité ; implication sous entendant que derrière l'apparence du vu, co-existe un champ sensible qui s'anime charnellement en acte, C’est tout ça l’intentionnalité.

Dans  notre pratique de sophrologue tant que nous ne discernerons pas l’intention d’avec un ensemble d’actes vécus comme une réalité consciente, notre participation à l’étude des phénomènes de conscience restera une croyance. Il y a une différence entre une intentionnalité maniée par un concept et une intentionnalité éprouvée "prise en main" si l'on peut dire,  dans une pratique. D’où l’intérêt de cadrer notre pratique de sophrologue dans ce qui règle l’attitude phénoménologique.

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Parlant du retour à la chose-même, le Professeur François Fédier apporte à notre étude un accent philosophique quand il précise que dans la devise exacte "Zu den Sachen selbst",  "Droit aux choses elles-mêmes", Sache s’oppose à Ding (qui a la même origine étymologique que le Thing anglais) dans la mesure où il ne s’agit pas de chose au sens d’un objet lui-même (exemple : un chien), mais explicitement en tant que "quoi". Il ne faut pas aller au chien, mais au "quoi" qui est le substrat de la chose, c'est-à-dire qui se trouve en dessous. Avec Sachen on va à l’essence des choses, non à telle chose 3.

Il explique en note "Die Sache est une chose au sens de quelque chose dont on peut parler, une affaire, ce à quoi on a affaire. Une cause au sens de ce dont il faut s’occuper, soutenir […]".

Il y a des substrats esthétiques qui nous rendent déjà aptes à sortir de nos habitudes de pensées. Il y a des substrats de philia qui jouent aussi dans ce sens. Dans le retour aux choses-mêmes, cela implique que ce retour débouche sur un substrat en tant, qu’en lui, quelque chose insiste, consiste, devient "parlant" et "vivant" en soi, suffisamment pour voir, plutôt se laisser arrêter par un visage comme dans l'esprit de Levinas, éprouver déjà les choses autrement et ainsi se frayer étonnamment un chemin entre le corps de la parole au sein d’une différence, de variations en rencontrant à chaque fois si possible, un écart exercé, consenti, déplacé : un passage à l'abord du silence originaire de la voix entre le contraint et l’ouvert », « Lâcher prise », ne veut décidément rien dire. 

 

Les enseignements de notre atelier

Nous avons vu en quoi la fonction d’intentionnalité nous concerne et comment nous pouvons orienter notre entraînement pratique vers ce qui nous apparaît "se vivant" en train de prendre forme en intégrant les paradoxes, les écarts. Husserl nous oriente non pas sur la matière mais vers les conditions nécessaires et suffisantes pour être bien disposé : mettre hors champ les vécus personnels, autant que possible.

La méthode phénoménologique intervient pour montrer, pour faire voir autrement. Elle prend tout son sens pour peu que l’on veuille développer un regard nouveau. Encore faut-il connaître théoriquement et pratiquement comment s’opère une mise en réduction (épochè) mais aussi, et préalablement, une conversion du regard.

La technique de la mise en réduction entre en plein dans notre dispositif. D’ailleurs elle est appelée par les philosophes "méthode". Il est à noter qu'il ne s'agit pas d'une méthode pour se connaître, mais une façon de s’y prendre avec la part de savoir que délimite la conscience en ses fonctions essentielles. Rapidement la méthode prend son sens lorsqu’elle est dépassée. La part qui nous intéresse étant  telle qu’elle peut et sait faire exister "ce qui est" au fondement du sentiment d’existence. Relevons que l’expression "oui à ce qui est"  n’a rien à voir avec l’immédiateté de ce qui nous arrive, mais s’adresse aux traces densifiées en nos structures profondes. Le retour à la chose-même renforce nos fondements  et au passage notre capacité à faire le rapport des choses.

 

Nathalie Guillot,

5 avril 2013 – dernières modifications le 5/06/13, le 21/04/17

Références :

1. Tiré de l’émission "Des idées et des hommes" par Jean Amrouche et Pierre Desgraupes : Invités Maurice Merleau Ponty, Hyppolyte, Jean Beauffret.

2. Enregistrement CD - Archives Syndicat National Français des Sophrologues. Centre des Congrès de Tours - 2003 (Communication donnée sous mon nom de jeune fille, Nathalie Vedel)

3. Francois Fedier l’imaginaire, Ed du Grand Est, 2009p.16, 17

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